La dépendance du Canada à l’exportation de déchets vers les États-Unis représente une vulnérabilité économique et stratégique importante qui nécessite une attention urgente. Par exemple, l’Ontario a exporté à lui seul plus de 40 millions de tonnes de déchets depuis 2010, ce qui a entraîné des pertes économiques importantes. Cette dépendance n’est pas due à des contraintes techniques, mais plutôt à un manque d’investissements dans les infrastructures nationales.
La construction d’infrastructures de gestion des déchets au Canada n’est pas seulement un impératif environnemental, c’est une opportunité économique et une question de résilience nationale. Alors que d’autres pays développés ont investi massivement dans des technologies de recyclage de pointe, dans le traitement des matières organiques et dans des installations de valorisation des déchets, le Canada continue d’envoyer de précieuses ressources de l’autre côté de sa frontière au lieu de profiter des avantages économiques et environnementaux dont il dispose. Il faudrait maintenant considérer les déchets comme une ressource stratégique plutôt que comme un problème d’élimination, afin de permettre au Canada de transformer ce qui est actuellement une perte économique en un moteur de création d’emplois, de production d’énergie et de développement de l’économie circulaire.
L’ampleur de la dépendance du Canada pour les déchets
Chaque année, le Canada génère plus de 35,5 millions de tonnes de déchets solides municipaux. Si une partie est recyclée ou traitée grâce à des technologies de valorisation des matières organiques et de production d’énergie à partir des déchets, la majorité est encore envoyée en décharge ou exportée pour être traitée hors de nos frontières.
Outre les déchets solides municipaux, le Canada exporte également des volumes importants de déchets dangereux vers les États-Unis pour qu’ils y soient traités et éliminés de manière spécialisée. Cette dépendance transfrontalière entraîne des coûts économiques considérables, les municipalités et les entreprises canadiennes devant payer pour les services de traitement américains tout en assumant les frais de transport et la conformité réglementaire au-delà des frontières internationales.Cette entente rend le Canada vulnérable aux changements de politique, aux contraintes de capacité et aux fluctuations des prix sur les marchés étrangers, et exporte de précieuses ressources économiques qui pourraient soutenir la création d’emplois au pays et le développement d’infrastructures au niveau national. De plus, les coûts environnementaux liés au transport sur de longues distances et la perte de ressources potentielles pouvant être valorisées à l’intérieur des frontières canadiennes représentent des occasions manquées pour le développement de l’économie circulaire et la production d’énergie.
Il ne s’agit pas en soi d’un échec technique ou environnemental : bon nombre des installations américaines qui reçoivent les déchets canadiens sont modernes et bien réglementées. Le problème, c’est que ces installations ne sont pas les nôtres. Le Canada n’a pas les infrastructures nationales nécessaires pour gérer l’ensemble de ses déchets, en particulier les matières résiduelles qui subsistent après le recyclage et la valorisation. En conséquence, nous restons dépendants des systèmes étrangers pour boucler la boucle de notre propre consommation et production.
Cette dépendance a un coût. Le transport longue distance et les émissions connexes, les occasions manquées de valorisation des ressources et les frais dans les sites à l’étranger font grimper le prix de l’élimination. Ces dollars quittent notre économie, soutenant l’emploi, les infrastructures et l’innovation ailleurs, alors qu’ils pourraient servir à renforcer les capacités ici, chez nous.
Vulnérabilités stratégiques
La dépendance du Canada envers les infrastructures étrangères pour gérer ses déchets n’est pas seulement un enjeu économique, c’est aussi un enjeu stratégique. Alors que l’incertitude mondiale ne cesse de croître, il est devenu impératif pour chaque pays de renforcer sa résilience et sa capacité d’adaptation. La gestion des déchets ne fait pas exception.
Les flux transfrontaliers de déchets sont soumis à des forces indépendantes du contrôle du Canada. Les changements dans la politique environnementale des États-Unis, l’opposition locale aux déchets étrangers ou des tensions commerciales et diplomatiques plus générales pourraient tous avoir une incidence sur la disponibilité et le coût de l’élimination par l’exportation. La pandémie de COVID-19 a révélé à quel point les systèmes internationaux peuvent être rapidement perturbés, et les récentes tensions géopolitiques n’ont fait que renforcer les risques liés à une dépendance excessive vis-à-vis de partenaires étrangers pour les services essentiels.
Il y a aussi des préoccupations plus pratiques. Les installations américaines peuvent accorder la priorité aux volumes nationaux pendant les périodes de pointe, ce qui retarde ou déplace les expéditions canadiennes. Les perturbations dans les transports, qu’elles soient dues à des événements météorologiques ou à des pénuries de carburant, peuvent aggraver ces problèmes, rendant le transport des déchets sur de longues distances moins fiable et plus coûteux à long terme.
Lorsque nous dépendons d’infrastructures externes pour gérer ce que nous produisons, nous réduisons notre capacité à planifier, à réagir et à nous adapter. L’indépendance en matière de déchets ne consiste pas seulement à maintenir les flux de matières à l’intérieur de nos frontières, mais aussi à garantir le contrôle, la stabilité et la responsabilité dans un système qui touche toutes les communautés du pays.
Les arguments en faveur d’un investissement national
La dépendance du Canada envers les infrastructures étrangères pour gérer ses déchets a un coût économique, environnemental et stratégique. Chaque fois que des déchets franchissent la frontière, ce sont aussi des dollars qui pourraient soutenir l’emploi, les infrastructures et l’innovation au Canada qui partent.
Le traitement et la valorisation des déchets ne sont pas seulement des services publics, ce sont également des moteurs économiques. Les installations qui s’occupent du compostage, de la digestion anaérobie ou de la valorisation énergétique des déchets créent des emplois à long terme, attirent les investissements et ancrent des écosystèmes de technologies propres plus vastes. Elles génèrent une demande pour les métiers spécialisés, les ingénieurs, les fournisseurs d’équipements et les services de maintenance, tout en soutenant les priorités du secteur public telles que la réduction des émissions et les objectifs d’économie circulaire.
Les municipalités canadiennes en ont déjà des preuves. Des installations comme l’Installation de valorisation énergétique des déchets du Grand Vancouver démontrent que nous possédons l’expertise technique et l’expérience opérationnelle nécessaires pour traiter les déchets de façon efficace, sécuritaire et locale.
Le Canada n’a pas besoin de repartir de zéro : nous devons simplement développer ce qui fonctionne déjà. Cela permettrait de réduire la dépendance à l’exportation, d’offrir des prix et des services plus prévisibles aux municipalités et de créer de nouvelles chaînes de valeur nationales dans les domaines de l’énergie, de l’agriculture et de la valorisation des ressources.
La question n’est pas de savoir si le Canada peut mettre en place un système de gestion des déchets autonome. La question est de savoir si nous sommes prêts à considérer les déchets comme une ressource stratégique et à investir en conséquence.
Ouvrir la voie
Le Canada dispose des outils, de la technologie et des talents nécessaires pour prendre le contrôle de son avenir en matière de déchets. Ce qu’il faut maintenant, c’est un investissement coordonné, un leadership et un changement de mentalité : il faut cesser de considérer les déchets comme un fardeau et commencer à les traiter comme une ressource nationale.
Une stratégie tournée vers l’avenir pourrait inclure :
- des investissements dans les infrastructures de digestion anaérobie, de compostage et de valorisation énergétique des déchets dans toutes les provinces;
- une aide aux entreprises canadiennes de technologies propres œuvrant dans le domaine de la valorisation des déchets et de la transformation des ressources;
- des cadres politiques favorisant la transformation nationale plutôt que l’exportation;
- un suivi clair des performances en matière de flux de déchets et des résultats afin de mesurer les progrès vers l’indépendance.
L’indépendance des déchets n’est pas qu’une question de commodité. C’est une question de souveraineté, de durabilité et de puissance économique à long terme. Le Canada a ce qu’il faut pour le faire. C’est maintenant qu’il faut agir.